1/3. Yazid Kherfi a grandi au Val-Fourré, à Mantes-la-Jolie (78). Ancien délinquant, passé par la case prison, à 60 ans il sillonne désormais la France avec sa camionnette pour dialoguer avec les jeunes de quartiers et les prisonniers. Il forme aussi des étudiants à l’université de Nanterre.
Manty Blog : En quoi consiste votre travail avec les jeunes issus des quartiers ?
Yazid Kherfi : Les villes m’appellent parce qu’elles sont en difficulté. Pour m’installer dans une ville, il me faut une autorisation municipale. Elles sont en difficulté avec les jeunes et elles ont besoin d’aide. Par exemple, en février, je suis tous les vendredis soirs à Corbeil-Essonne (91) avec mon camping-car, de 20 heures à minuit. On met des tables dehors, on fait comme une terrasse de café et les gens viennent. On met un peu de musique, des jets de lumière, du café et du thé. On crée un espace de parole le soir où il n’y a rien. Je fais ça exprès pour pousser les villes à s’occuper des jeunes qui traînent le soir dans les rues parce que tout est fermé.
MB : Pour vous, travailler le soir fait toute la différence ?
YK : Il faut travailler à l’heure où il y a des difficultés. On ne peut pas continuer à faire un boulot avec des horaires de mairie. Ce n’est pas normal. Les animateurs et les éducateurs ne répondent pas à cette problématique. A Chanteloup-les-Vignes (78), la maison des jeunes est ouverte tous les jours jusqu’à deux heures du matin au moins, même le dimanche. Tant qu’il y a du monde, c’est ouvert. Je vois que ça a un réel impact. Il y a forcément un impact à partir du moment où les jeunes s’ennuient moins. Ils jouent aux cartes, regardent la télé, des choses comme ça. Ils sont occupés donc ils ont moins tendance à fumer ou à boire. Ils ne sont pas dans les halls en train de faire du bruit. En même temps comme ils sont là, les travailleurs sociaux les connaissent et peuvent les réorienter. Il faut mettre des gens bienveillants auprès des jeunes qui ne vont pas bien.
MB : Que voulez-vous dire par bienveillant ?
YK : C’est une personne honnête qui a de bons résultats scolaires, qui travaille, qui n’emmerde pas les autres. Ce n’est pas forcément une personne plus âgée. C’est quelqu’un qui a un bon comportement.
MB : Elle doit venir d’un quartier ?
YK : Non, pas forcément. Je préfère même que ces personnes viennent d’ailleurs. Sinon, les jeunes s’enferment dans un ghetto. Il faut qu’ils discutent avec des gens différents. Sinon, ils s’enferment dans leur bande et leur communauté. Il faut chercher l’ouverture, aller vers l’autre. Il faut des bienveillants à côté des gens qui ne vont pas bien pour éviter que les malveillants occupent l’espace public et montent la tête aux jeunes. Ce sont ceux, par exemple, qui proposent un joint. Plus les jeunes fréquenteront des gens bien, plus ils auront tendance à être bien, à réussir et à avoir de belles valeurs. Alors que quand ils fréquentent de mauvaises personnes, ils sont attirés vers le bas.
MB : Le dialogue semble important.
YK : Le dialogue c’est la chose la plus simple. Il faut parler. Si on ne parle pas, comment voulez-vous que les choses changent ? Quand la personne parle, elle existe. Sinon, comment existe-t-elle ? En faisant de la roue arrière en bécane, en faisant un attentat. On voit bien qu’il y a une histoire d’existence. Pourquoi les jeunes font des conneries ? Pourquoi ils achètent des affaires de marque ? C’est pour exister. Donc la première des choses est de créer un espace de dialogue où les gens peuvent parler et être entendu. Il faut aller voir ceux qu’on ne voit jamais et qu’on n’entend jamais. Les remettre dans la lumière car leur parole est importante. C’est ce que je fais avec mon camping-car. Ma priorité c’est d’intervenir la nuit dans les quartiers et en prison, d’aller vers des gens qui sont dans l’ombre. J’aime bien la phrase de Nelson Mandela « pour aller vers la paix, ce n’est pas avec ses amis qu’il faut dialoguer mais avec ses ennemis » ; allons discuter avec “nos ennemis”, parce qu’en parlant avec eux, on se rend compte que c’est un malentendu. S’ils ne viennent pas vers nous, c’est à nous d’aller vers eux. Au départ il y a de la méfiance, mais au bout d’un moment, ils vont vous apprécier ; quand je vais dans un quartier, je ne leur dis pas que je sors de taule, la plupart ils ne le savent pas. J’ai travaillé pendant des années à Chanteloup, la plupart ne savaient pas que j’avais fait du placard. Je ne le mets pas en avant. Par contre, ils m’apprécient parce que je me mets à leur niveau, car il faut avant tout créer des rapports d’égalité.
MB : Pensez-vous que le renouvellement urbain puisse être une réponse aux maux des quartiers ?
YK : Ça ne suffit pas ! C’est bien d’avoir de beaux immeubles, propres et avec de belles couleurs, mais il faut, avant tout, faire un travail sur l’humain pour un meilleur “vivre ensemble”. Il faut mettre moins d’argent dans les murs et plus dans l’humain. Pour moi les architectes ont un peu déconné. Pourquoi ils ne se disent pas que comme les jeunes sont dehors ou dans les halls, on va leur créer des lieux. A la place ils ont mis des caméras, des digicodes et des grillages. Tout est fait contre les jeunes, pour les faire fuir. A quel moment on fait pour les jeunes ?
MB : Selon vous, quel type d’espace devrait être créé ?
YK : Les architectes auraient dû créer des espaces où les gens puissent se retrouver. Cela peut être des locaux associatifs, les mètres carrés sociaux c’est dans la loi. Il faudrait faire des rez-de-chaussée des espaces associatifs, pour les jeunes qui ont du mal à faire leurs devoirs ou à travailler chez eux. Il y aurait un voisin ou un étudiant pour les aider au niveau scolaire et les parents seraient tranquilles. En même temps, cela crée de l’entraide. Il faut que les locaux servent aux habitants pour se réunir, pour une fête, un anniversaire, n’importe quoi, du moment que cela sert pour le vivre ensemble ; parce que si on est l’un contre l’autre, un jour on ira à la guerre.
MB : Et la mixité sociale, vous y croyez ?
YK : Les quartiers sont plus criminogènes qu’avant à cause du deal, de l’oisiveté, de l’ennui et de la ghettoïsation. Avant il y avait de la mixité avec des blancs, des profs, des policiers et des élus. Maintenant ces personnes-là sont parties et ce sont des personnes plus pauvres qui les ont remplacées. Donc il faut donner la possibilité à la classe moyenne d’accéder à la copropriété. Quand on arrive à créer de la mixité c’est toujours mieux parce que les gens font plus attention à leur quartier. Après je ne pense pas que les riches ont envie d’avoir des pauvres près d’eux. Alors que les pauvres aimeraient bien habiter dans les quartiers riches.
MB : Si vous aviez des fonctions au gouvernement ou un budget conséquent, que feriez-vous ?
YK : Je partirai sur une île déserte. Non, je rigole. Je favorise la formation afin de travailler sur le vivre ensemble pour casser les préjugés. C’est parce qu’on ne connait pas celui d’en face qu’ils existent. Si on connaissait mieux l’autre, il y aurait moins de problèmes. C’est la peur qui fait ça aussi. J’ouvre des lieux le soir pour les jeunes avec un accès au sport et à la culture ; et je fais en sorte que quand tu sors de prison, tu en sortes mieux que quand tu y es rentré.
Propos recueillis par Cindy Massoteau