« Quand tu parles de harcèlement sexuel, c’est dans quel sens ? »

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Kezia a lancé le sujet du harcèlement sexuel avec des lycéennes et lycéens. Si les mots ne sont pas forcément mis sur les faits, toutes en ont été victimes et toutes sont traversées par ces mêmes sentiments de culpabilité et de honte.

« Je ne sais pas si je pourrais répondre, parce que moi, j’en ai jamais été victime ». Yasmine 17 ans, jeune fille aux belles boucles brunes, et grand sourire paraît mal à l’aise à l’heure d’aborder les questions liés au harcèlement sexuel. Elle pense en fait, n’en avoir jamais été victime et marque ses distances. Mais elle n’est pas seule à ne pas être à son aise, ses camarades Tugba et Aysegul, 18 ans toutes les deux, éprouvent la même gêne.

« Quand tu parles de harcèlement sexuel, c’est dans quel sens ? ». Tugba, élève en terminale scientifique, a aujourd’hui les cheveux noués en queue-de-cheval basse. Elle se touche les mains et sourit, pose des questions « C’est par rapport à quoi ? ». En venant sur les affaires médiatisées, telles que Weinstein, les hashtags ou encore des témoignages, Tugba et Yasmine semblent se sentir plus concernées. Aysegul, elle aussi en Terminale scientifique, veut faire entendre sa voix. Les idées et les langues se délient : « Si par exemple en cours, on parle de sexe, c’est le genre de truc qui va provoquer des commentaires en cours, alors qu’on est en terminale », constate Tugba. Aysegul ajoute « Oui des garçons lancent des commentaires du genre “les femmes ne sont faites que pour faire le ménage” ».

Le sujet reste pour elles malgré tout assez confus, entre harcèlement sexuel, violences conjugales et place de la femme dans la société. Mais les filles sont heureuses de prendre la parole. Elles évoquent un sentiment d’insécurité par rapport à certaines des situations qu’elles ont vécues. Mais plus encore face à leur impuissance à pouvoir faire quelque chose, tout simplement répondre, oser dire « Non. Stop ! », et surtout des conséquences si elles osent répondre. Que pourrait-il se passer ? Elles ont peu de foi en l’idée que les institutions censées les protéger, telle que la justice, agissent. « Moi, je pense que si ça m’était arrivé, les violences conjugales ou une agression, je serais allée le dire à la police, ou au commissariat », déclare Tugba sans pour autant croire que cela aurait un réel impact. « J’ai vu des cas réels ou certaines femmes vont au commissariat pour dire qu’elles se sont fait agresser et….ils s’en foutent » la coupe Aysegul. « En fait ils ne font rien… » conclut Tugba.

Vivre mais obligées de prendre des précautions

Et puis l’idée d’avoir pu être victime se concrétise progressivement. Après avoir évoqué le témoignage de l’agression sexuelle d’une jeune fille des alentours, l’idée et la possibilité de soi-même, avoir été victime paraît plus réaliste. « C’est comme la pote à Dylan, elle ne se faisait pas vraiment agresser, mais tu te rappelles ? Elle avait parlé de sa copine, elle était dans les couloirs de son lycée tranquille, elle était toute seule et puis il y un mec qui est venu, et je crois qu’il lui a touché les fesses ou un truc comme ça ! » explique Aysegul.

Le sentiment de « honte » est rapidement évoqué. Les filles ont conscience qu’elles ne sont pas forcément responsables, mais se placer comme victime reste compliqué, tout comme le fait d’en parler. « Moi, j’en parlerais pas à mes parents. Sinon ils ne me laisseraient jamais aller à la fac toute seule » estime Tugba. « Moi aussi je suis comme ça, dit Ayseygul, je ne dis pas à mes parents et bien en faisant ça s’il nous arrive à un moment un truc, j’espère ça ne va pas arriver et bah nos parents, ils ne vont pas se douter que c’est ça ». Le danger est bien identifié et de manière contradictoire le besoin d’indépendance, de s’affirmer, cohabite avec le sentiment d’insécurité et la peur de ce qui pourrait arriver. Cette peur qui ne doit pas les empêcher de vivre, ne vient pas sans l’obligation de prendre des précautions disent-elles.

C’est seulement au bout d’un peu plus de trente minutes que Tugba, Yasmine et Aysegul considèrent qu’elles se sont peut-être trouvées dans des situations, qu’elles caractérisent comme des situations de harcèlement, non sans une pointe de culpabilité. « La réaction ? Quand ça se passe, le soir, je me demande : “pourquoi t’as pas réagi comme ça, etc. ?” – Ah, mais moi ça m’arrive tout le temps ! » lui réplique Aysegul. Tugba semble éprouver moins de remords. « Bah, c’est surtout quand tu réagis pas et que ça continue avec la même personne, bah oui ça te saoule ». Tugba est catégorique « Non, pas moi, je ne culpabilise pas. Je me demande juste pourquoi il me saoule en fait ». « A qui j’en parlerais ? À mes copines, oui. Mais après plus personne. Que copine. Pas la famille ». Yasmine jusqu’alors très réservée s’implique un peu plus dans la conversation. « Je pense que les garçons qui font ça, ils ne se rendent pas compte dans quelle position ils nous mettent. Ils font plus ça pour faire comme tout le monde ». Elle rebondit sur le fait qu’on parle beaucoup des garçons qui font ça, mais il y a aussi des filles. « Tu vois par exemple une fois, je me suis fait draguer lourdement par une lesbienne ». Éclats de rire et bonne humeur.

Une victime et un garçon naïf

Changement d’ambiance cette fois. Un vendredi ensoleillé, attablé à l’aire de jeu du McDonald’s de Mantes-la-Jolie se trouve Océane. Coiffée de longues tresses nouées en queue-de-cheval, elle se prête volontiers et toujours avec humour au jeu des questions-réponses. Accompagnée de Yannis, lycéen de 18 ans qui lui aussi à toujours le mot pour rire, « on parle de harcèlement sexuel ? Ah bah moi, je ne suis pas là ! ».Yannis s’interroge, « c’est quoi le harcèlement sexuel ?, c’est quoi la différence avec le viol ? ». Océane explique à un Yannis, gêné qui se bouche les oreilles, refusant d’entendre, d’une voix monocorde « Le viol, c’est quand il y a eu l’abus sexuel sur une personne non consentante. Le harcèlement sexuel, c’est également quand la personne n’est pas consentante, mais il n’y a pas eu de …. ». La conversation débute ici très rapidement et aboutit sur l’affaire Weinstein. Difficile de parler de harcèlement sexuel sans évoquer cette affaire. Océane se sent concernée par la situation : « Mais franchement, c’est une affaire qui m’a choquée. » Mais l’affaire dont on discute ne semble pas connue de tous, « C’est quoi l’affaire sinon ? » demande Yannis. « En fait, c’est un producteur qui a été accusé d’avoir harcelé sexuellement plusieurs de ses… » « Ah ça ! ». Pour Yannis, l’affaire semble lointaine et le rapport entre cette affaire américaine et des jeunes filles de Mantes-la-Jolie semble encore flou.

Océane, elle voit bien le lien, et se livre facilement sur le sujet avec, comme à son habitude, humour « Nan, mais quand le mec, il vient, “eh, euh steuplaît, eh euh t’es bonne !” Bah nan quoi ?! Attends. Eh ! Oh ! Je ne suis pas une voiture !! Un minimum d’élégance quoi ! ». Même si la situation prête à rire, la réalité est beaucoup moins drôle. Quand ça arrive, Océane perd de sa répartie et de son humour. « Non seulement comment tu te sens agressée, mais comment t’as peur ! Même s’ils n’ont pas l’air euh … Voilà, c’est violent ! » Dans ces moments-là, elle ne réagit pas. Parfois même elle culpabilise. « Peut-être parfois comme je le regardais, il a cru que, peut-être que comme je rigolais avec mon pote, j’ai souri, je l’ai regardé, il a peut-être pensé que je souriais à lui, alors que pas du tout ». Une réaction que Yannis ne comprend pas. « Ça part loin !». Peut-être l’occasion d’un début de prise de conscience tout de même. Avant même de considérer ce garçon comme responsable, ou d’être en colère, dans le cas d’Océane la culpabilité prend le dessus. Plus encore l’incompréhension, « pourquoi elle, pourquoi comme ça, etc. ». Ces situations Océane les vit toujours dans des lieux publics, « Un endroit public toujours, dans la rue, dans un resto, à la piscine ». Une fois encore, Yannis ne comprend pas : « Ah parce qu’ils le font devant tout le monde ? ». Quant aux passants, ont-ils réagi, ont-il été indignés, ont-ils tenté de l’aider ? Océane est très claire : « Ah non, jamais !».

La question traditionnelle revient : « faut-il en parler, est-ce que c’est nécessaire ? ». « Ça dépend la gravité de la situation. Si ça m’a fait peur, si c’était trop insultant ou si ça m’a fait flipper forcément, je suis obligée d’en parler à mes potes et tout. Mais même quand c’est drôle, j’avoue j’en parle aussi ». La culpabilité n’a plus sa place quand la dernière question se pose : « Tu t’es déjà posé la question de “pourquoi il fait ça ?” ». Yannis ne lui laisse pas le temps de répondre et réplique, « Parce qu’il est bête, tout simplement ». Mais pour Océane bien que cela s’avère beaucoup plus compliqué elle conclut, comme à son habitude, avec humour. « Nan, mais eux, c’est bon, t’as juste envie de lui dire “allez Shrek ! retourne dans ta taverne !” ».

Kezia Halgand

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Lycéenne en terminale ES. Passionnée d'écriture, j'aime lire et philosopher, débattre et surtout m'engager pour les causes auxquelles je crois. Le Manty Blog est une façon pour moi d'élever la voix de ceux qu'on entend pas, ou que l'on a trop souvent oubliés...