Les terminales forcés à expérimenter une école alternative

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Voilà plus de 2 mois que 3 étudiants de terminal au lycée Saint-Exupéry à Mantes-la-Jolie sont confinés et font l’expérience d’un modèle scolaire qui ne tourne plus autour de la préparation aux épreuves finales du bac ou de leur présence au lycée.

A la base on était juste parti en week-end, avec deux semaines de vacances et puis finalement on ne reviendra jamais au lycée” s’amuse Clément entre les quatre murs de sa chambre d’adolescent à Rosny-sur-Seine. Pour lui, la fermeture des établissements scolaires durant deux semaines, annoncée par le président de la République à compter du lundi 16 mars dernier équivalait à des vacances arrivant plus tôt que prévu. Deux mois après cette annonce il a encore aujourd’hui interdiction de retourner au lycée.

Pendant sa période de confinement le ministre de l’éducation nationale Jean-Michel Blanquer a annoncé, le 3 avril, que les terminales ne passeront pas le bac sous sa forme habituelle, mais en contrôle continu. Un sentiment d’impuissance a alors énervé et frustré Clément : “ça fait tellement d’années qu’on s’y prépare et au final on ne le passe pas”. Il voit le bac dans sa version traditionnelle comme un accomplissement de fin d’études secondaires auquel il n’a plus le droit de prétendre : “j’ai l’impression que le virus m’interdit d’achever mon année” confie-t-il. En plus, “on a dit au revoir à personne !”.

Ca sera aussi le cas pour Marine et Romain, tous deux habitant aussi à Rosny sur Seine, et scolarisés, quand ils ne sont pas confinés, au lycée Saint-Exupéry qui accueille 1500 autres élèves, à Mantes la Jolie, à la limite du quartier du Val fourré. Depuis mi-avril et les déclarations du ministre, ils ont tous trois leur bac S en poche, comme 91,4% de leurs prédécesseurs de la même filière dans tous lycées confondues l’an dernier selon les chiffres du ministère de l’Éducation Nationale, mais d’une manière bien différente. Pour Romain ce n’est pas seulement le fait de ne pas passer les épreuves du baccalauréat qui l’embête, mais toute la symbolique attachée à ce moment de sa vie, “ l’année de la majorité, du permis, du bac, du bal organisé par le lycée, le moment où tu t’imagines aller voir les résultats de l’examen affichés, les fêter avec tes amis juste après, partir en vacances avec eux”. Il s’est d’ailleurs trouvé un travail à mi-temps dans une grande enseigne spécialisée de bricolage pour financer ses vacances avec ses amis, mais « tous ces plans tombent à l’eau à cause d’un virus ».certaines personnes vont savoir très bien bachoter en n’ayant pourtant rien travaillé de l’année, et elles vont avoir leur bac

Marine, dans la même classe et la même ville que les deux garçons, confie un brin agacée : “c’est un passage obligé de la vie que je n’aurai pas la chance de passer comme l’a passé ma mère, ma tante, ma grande cousine, tout le monde en fait.” Ce rite de passage à l’âge adulte, elle le voit aussi comme un moyen de se tester et connaître ce qu’elle vaut lors d’une épreuve commune à la France entière. Pourtant, malgré son bon niveau scolaire, particulièrement dans les matières scientifiques à gros coefficients, elle appréhendait le baccalauréat car le résultat ne se base que sur une épreuve par matière, voir deux pour les matières scientifiques ou trois pour les langues, qui ne durent seulement que quelques heures et non pas sur le travail effectué durant l’année. Elle explique : “certaines personnes vont savoir très bien bachoter en n’ayant pourtant rien travaillé de l’année, et elles vont avoir leur bac. Alors que moi avec le stress j’aurai forcément eu une moins bonne note en examen que sur le reste de l’année”. Finalement elle se trouve seule face à un mystère : “je ne saurai jamais si j’aurais réussi à faire retranscrire mon niveau dans les conditions du bac”.

La peur d’obtenir un bac considéré au rabais par les étudiants diplômés des grands lycées de la capitale existait déjà parmi les lycéens de Saint-Exupéry, lycée de banlieue parisienne à 50 km de Paris. Aujourd’hui elle s’accroît par la sensation de ne pas avoir passer le bac comme les autres années. “Passer le bac en contrôle continu c’est pas un vrai bac, ça vaut rien, c’est plus facile” : voilà ce que Clément craint d’entendre à son université, alors qu’il souligne “ce n’est pas quelque chose qu’il a décidé.

je continue de faire mon année normalement comme si j’étais à l’école surtout par respect envers les professeurs qui continuent à envoyer les cours

Romain, premier de sa classe depuis son enfance, a pour habitude de beaucoup travailler. Il s’est lui aussi naturellement organisé un emploi du temps fixe : “je faisais des journées de 8/18h non stop avec seulement une pause d’une heure le midi “. Notamment pour répondre à la charge de travail qu’on lui infligeait : “les profs avaient tendance à donner plus de devoirs qu’ils l’auraient fait en situation normale ! ” avoue-t-il déconcerté.Il explique tout de même continuer à “faire mon année normalement comme si j’étais à l’école surtout par respect envers les professeurs qui continuent à envoyer les cours”

Pour Clément le plus difficile est de ne plus être encadré par les professeurs : “Au lycée dès qu’on ne comprend pas on a le prof qui peut venir nous expliquer autrement juste en levant la main » Pour lui, travailler à la maison plutôt qu’au lycée, « c’est pas pareil”. Prenant l’exemple de sa matière favorite la Physique-chimie il explique : “au début des chapitres on a besoin de gestes avec les mains, de schémas sur un tableau, de maquettes qui permettent de voir les molécules”. Pour avoir l’impression de ne pas vivre un trop grand changement, Clément se réfugie dans ses habitudes d’avant confinement : il garde le même emploi du temps semainier que s’il allait au lycée : “je travaillais les matières qu’on avait normalement ce jour-là.” Malgré tout, la baisse de motivation au bout d’un moment est bien présente : “quand tu sais que t’as déjà ton bac t’es pas motivé à continuer de travailler, surtout pour un 3ème trimestre qui va même pas compter”.

Le lycée c’est pas seulement étudier c’est aussi avoir une vie sociale, c’est apprendre à évoluer dans la société, à travailler en groupe, à créer des relations professionnelles et amicales, c’est une mini société” expose Marine, qui avoue par ailleurs ne plus avoir l’impression de grandir et de prendre en maturité maintenant qu’elle ne sort plus de chez elle. Pour Marine, cette période de confinement est aussi perçue comme une période de transition l’ayant préparé aux études supérieures, et d’éviter l’habituel changement brutal entre lycée et la fac : “avec un confinement où on doit rester enfermés, j’ai l’impression de m’entraîner à vivre mon année de l’année prochaine. je ne verrai personne et ne ferait que travailler à mon bureau.” Une année en PASS, la nouvelle filière d’accès aux études de médecine avec un concours à la clef : “c’est une année super difficile que je vais passer ». Marine sait qu’avec la charge de travail qu’elle aura l’an prochain elle ne pourra plus avoir la même vie sociale qu’elle avait en tant que lycéenne, sortir voir ses amis, faire la fête. Comme ces derniers temps.

on n’a pas forcément de temps pour nous quand on va en cours et qu’on rentre tard

Malgré un temps d’adaptation compliqué, c’est une alternative moins contraignante qui s’offre à eux dans ce travail à la maison. Dans la vie de tous les jours, on n’a pas beaucoup de temps à nous, regrette Romain qui profite de ce temps libre supplémentaire pour profiter de sa famille : “Le fait d’avoir plus de temps libre, avec ma sœur, mon père et ma mère, on en profite pour faire des jeux de société dont on n’a pas l’habitude”. Il en profite aussi pour s’essayer à de nouvelles activités : “Je me suis mis au piano et j’apprends de nouvelles langues, des choses que j’ai toujours voulu faire ”.

Marine, de son côté, se réjouit de retrouver de la sérénité : “finalement c’est un mal pour un bien, car je réussis à me reposer et prendre du temps pour moi”. Elle n’a plus cette sensation d’être débordée : “on n’a pas forcément de temps pour nous quand on va en cours et qu’on rentre tard, puisqu’on doit se coucher tôt pour le lendemain se réveiller à 7 heures du matin. Maintenant je peux regarder des films de 2 heures.” explique-t-elle.

Marine, Clément et Romain ont chacun leurs préférences sur la manière de travailler et les moments favoris pour le faire. Avec le confinement Clément peut gérer son emploi du temps comme il le veut : “maintenant je travaille au rythme de mes envies”, et l’adapter à ses priorités qui évoluent maintenant que l’objectif n’est plus le bac. L’année prochaine Clément envisage une licence en Physique-Chimie-Géosciences-Ingénierie (PCGI) à l’université Sorbonne à Paris : “Je privilégie la physique-chimie car c’est une matière que j’aurai l’an prochain” continue-t-il.

Tandis que Marine peut s’attarder sur les parties où elle a plus de mal : “maintenant, comme j’ai le temps, je prends le temps d’être sûre que je comprends tout ” analyse-t-elle. “Quand je suis en cours je me dis : « je comprendrai plus tard », parce que je suis dans une ligne droite il faut que j’avance pour le lendemain. Et au final y’a des trucs que je n’aurais jamais compris parce que j’oublie de demander à la prof ou parce que sur le moment je suis timide” continue-t-elle.

très clairement les classes virtuelles, qui remplacent les cours au lycée, ne m’apportent rien

Romain aussi apprécie la liberté qu’il a découverte dans le travail à la maison, notamment la possibilité d’avancer à son rythme propre : “au lycée je trouvais le rythme parfois trop lent, le fait de pouvoir travailler chez moi seul et d’avoir les chapitres à l’avance me permet de les enchaîner comme j’ai envie sans avoir à attendre les autres”. Il peut continuer à avancer sur le chapitre lorsqu’il a déjà terminé ce que ses camarades de classe sont encore en train de faire : “très clairement les classes virtuelles, qui remplacent les cours au lycée, ne m’apportent rien. Ça me fait plus perdre de temps que ça ne m’en fait gagner, car les profs revoient ce que j’ai déjà fait”.

Pour Marine, le lycée pourrait finalement jouer le rôle de centre de ressources pédagogiques qu’elle utiliserait selon ses besoins. D’un naturel autonome elle a l’impression d’avoir les capacités pour continuer à travailler chez elle, sans avoir besoin de retourner systématiquement au lycée quand son ouverture sera annoncée, si jamais c’est le cas : “certains chapitres sont plus compliqués que d’autres et il faut qu’on me les explique mais pour la plupart j’arrive à comprendre seule je n’ai pas besoin de la présence d’un professeur”. Pour la lycéenne aller au lycée n’est pas forcément nécessaire : « ça ne sert à rien de faire venir des personnes qui se débrouillent très bien chez elles.”

Héloïse Lefeu

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