Jour de travaux et jeu d’équilibriste aux Aviateurs

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Refaire la chaussée dans un quartier demande un minimum d’organisation, encore plus si l’on est prévenu trois jours avant. Samira qui vit au Val Fourré en a fait les frais.

Vendredi soir du 12 mai, une simple feuille A4 est placardée sur la porte d’entrée de l’immeuble : interdiction de stationnement sur la chaussée le 15 mai 2017. Mentalement, je me dis, « mais pourquoi ils nous préviennent si tard ! Ils savent très bien que même en temps normal c’est une galère pour trouver une place à partir de 18h ». La fatigue l’emportant, je balaie l’information et mes vociférations mentales d’un geste de la main et je sonne à l’interphone, attendant patiemment que mon frère, en arrêt après une opération délicate, daigne m’ouvrir.

« C’est qui ? C’est moi ? Moi qui ? Ouvre t’es relou ! Dis s’il te plait ! Ouvre t’es mort !!! ». Après l’épreuve du « dis s’il te plait » vient celle de l’« ascenseur en panne ». Bonjour les cinq étages. J’essaie de ne pas m’acharner sur le bouton d’appel, je m’accroche aux anses de mon sac à dos et monte les escaliers un par un en comptant les éventuelles calories perdues. « Une marche à pied, ça brûle ça brûle ça brûle mes calories ». Ce petit moment de solitude me permet de faire la liste des corvées du week-end, les pannes d’ascenseurs surviennent toujours le vendredi pour mieux nous faire apprécier les courses du samedi.

Tant bien que mal, lundi arrive avec son lot de soucis. Il est 8h30 et dans cet immeuble datant des années 60, les voisins semblent vivre en colocation. J’entends Sibel, la petite dernière de ma voisine faire sa crise du lundi. Du haut de ses trois ans elle essaie de s’imposer, « je veux pas des couettes, j’aime pas la maîtresse, je veux pas aller à l’école ». Une pensée me traverse l’esprit, je me dis, heureusement que les odeurs ne traversent pas les murs, c’est bien assez de partager l’intimité du voisinage à distance.

Au cinquième étage, à travers la porte-fenêtre à double vitrage, parviennent les bruits caractéristiques des véhicules de chantier, grondements de moteurs, crissements de pneus… Au moment où je me retourne sous ma couette essayant d’oublier le bruit et de grappiller quelques minutes de sommeil, je me rappelle de l’affiche A4. Catastrophe ! Mon frère, cet étourdi, a surement laissé sa voiture au mauvais emplacement. « Mamaaaaaaaaaaan, Mamannn est-ce que Aissa a retiré sa voiture de la chaussée ? Ils vont l’embarquer !! ». S’ensuit une course dans l’appartement, ma mère qui entre en trombe dans la chambre de mon frère, Aissa, lui retire sa couette, ouvre la fenêtre, grognements, monologue de ma mère, re-grognements. « Oui il l’a enlevé hier soir », je peux me rendormir en paix.

11h25 : l’heure de récupérer le neveu à la maternelle, de l’autre côté de la rue. Etre en panne d’inspiration pour la rédaction de son mémoire n’est pas une excuse suffisante pour échapper à la corvée. Pendant que l’infirmier change les pansements de notre malade, j’enfile à la hâte mes claquettes pour arriver avant la fermeture des grilles. À peine sortie de l’immeuble, le jeu d’équilibriste commence : comment traverser la rue en travaux pour récupérer le petit ? Des tranchées entières ont été creusées et plusieurs ouvriers s’activent pour remplir de graviers et de goudron les espaces libérés. Ma mission, puisque je n’ai pas d’autre choix que de l’accepter : sauter en claquettes jaune fushia au-dessus des bandes de goudron fraîchement posées, contourner les ouvriers, les camions, se faufiler entre les voitures dans le parking qui fait face à l’immeuble, essayer enfin de traverser la rue sans se faire faucher par une voiture ou un bus pour arriver à destination.

Le retour est plus compliqué encore. Veiller que les enfants ne courent pas dans tous les sens est déjà une gageure, mais lutter contre leur esprit de curiosité est impossible. « On va traverser, aujourd’hui c’est dangereux je vais te porter quand on arrive en face de la maison, on ne touche à rien, c’est très chaud ça brûle ! ». Porter le bout d’chou, contourner l’homme à la brouette remplie de gravier, faire un petit saut pour arriver sur le trottoir. « On s’dépêche les gars, y’a les enfants là » crie un homme en combinaison orange. Je me retourne une dernière fois, l’homme à la brouette verse le contenu, une épaisse fumée s’en échappe.

La porte de l’immeuble se referme derrière nous, les bruits restent à l’extérieur, Mme Bensiti qui vient récupérer son courrier engage la conversation. « Ils sont enfin venus réparer cette rue, ça fait des années qu’on demande. A chaque fois l’eau stagnait pendant des jours et des jours sur la route ». J’acquiesce. « Maintenant il reste plus qu’à agrandir le parking, poursuit-elle, mais c’est pas possible ça, y’a plus de place, y’a trop de jeunes qui ont une voiture maintenant c’est pas comme avant ». Je me demande si elle n’insinuait pas quelque chose, mes deux frères, mon père et moi-même avons chacun notre propre voiture.

Lundi c’est aussi le jour de réparation de la panne d’ascenseur, un sourire me monte aux lèvres, je vais laisser mes calories au chaud et grimper les cinq étages sans efforts avec mon neveu. Les remarques de Mme Bensiti me reviennent. 20h00, je sors de ma place de parking, pas de nid de poule, plus d’espace, le sol est régulier, j’arrête de râler, j’accélère, j’ai rendez-vous à 20h30.

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